Dieu est comme « un homme parti en voyage »

« Vous ne savez pas », dit le Seigneur. En effet ! Et c’est notre grand problème : nous ne connaissons pas la date du retour du Christ, pas plus que celle de notre propre mort. L’avenir demeure un mystère. Le Fils de l’homme lui-même avoue ignorer la date de ce jour (Matthieu XXIV, 36). C’est le secret du Père, lui seul sait, mais Il ne l’a pas dit. Sa Parole elle-même ne le sait pas, car elle n’est pas venue pour satisfaire la tenace curiosité des hommes. Les apôtres eux-mêmes voudraient profiter du Ressuscité pour en savoir plus long (Actes des Apôtres I, 16). Jésus a toujours refusé de jouer les devins. Ce qu’Il affirme seulement, et cela nous importe, c’est qu’il y aura bel et bien ‘un Jour’ qui sera le dernier jour, jour de son Retour et jour de Jugement. Ce jour sera terrible en ce sens qu’il sera irréversible, comme le jour de notre mort, et alors il faudra rendre des comptes (Marc XIII, 14-23). En connaître la date n’est ni utile ni intéressant, bien au contraire. Cette incertitude constante nous maintient en un éveil continuel. Tous les jours, quelque chose peut arriver qui transformera notre vie. Nous sommes dans les mains de Dieu et nous devons vivre cet instant. Car c’est à cet instant que je dois accueillir Dieu, nourrir ou vêtir mon frère (Matthieu XXV, 40). C’est à cet instant (et non hier ou demain) que je dois aimer ma femme, écouter mon fils, héberger l’étranger. L’avenir ne m’appartient pas (Matthieu VI, 33-34). Il ne m’intéresse même pas. Car c’est à cet instant-ci que Dieu est imminent, qu’Il arrive à l’improviste (Marc XIII, 36). Je ne serai pas surpris si, dans la joie, j’attends le jour béni où Il frappera à ma porte. Et Il entrera, et nous dînerons ensemble (Apocalypse III, 20).
Dieu est pour moi « comme un homme parti en voyage » (Marc XIII, 34) ; après s’être révélé à moi en ayant suscité une vocation privilégiée, il m’a caché son visage en me laissant dans la nuit, dans le désert. La mémoire qui gardait les moments forts et les paroles décisives qui m’avaient été adressées s’est estompée. L’expérience certainement la plus continue que je fais est celle de l’absence de Dieu. Cette absence a d’abord pu susciter la révolte ou le désarroi : « reviens Seigneur pour l’amour de tes serviteurs » (Isaïe LXIII, 15). Mais je redécouvre peu à peu que l’absence est une grâce : elle renouvelle en moi la foi, la confiance, la fidélité et l’espérance. Elle suscite une dynamique qui nous met en route vers la rencontre : c’est l’absence ou le vide qui suscite la soif en notre cœur, comme un désir insatiable.
Ce désir est la confirmation qu’une rencontre nous a déjà marqués ; il nous fait ressentir combien nous appartenons à Dieu. Le Seigneur nous a saisis un jour dans notre faiblesse, dans notre péché et il a suscité en nous un appel définitif. Nous ne pouvons plus remettre en cause cet élan dont la marque nous colle à la peau. C’est pourquoi nous veillons dans l’attente de l’aurore, nous ne cédons pas à cet endormissement qui nous guette, à cette indifférence, à cette lassitude spirituelle qui envahit notre monde.
L’épreuve de l’absence purifie notre foi et fait de nous des hommes vigilants, clairvoyants. Comme la vigie sur le bateau dans la nuit, notre cœur devient plus attentif à l’essentiel, aux signes du Royaume, aux lumières qui transparaissent au loin.

Références des textes liturgiques :
Livre du Prophète Isaïe LXIII, 16b-17. 19b ; LXIV, 2b-7 ; Psaume LXXIX (LXXX) ;
Première Lettre de Saint Paul Apôtre aux Corinthiens I, 3-9 ;
Évangile de Jésus-Christ selon saint Marc XIII, 33-37